Washington, D.C. – La Commission Interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) et le Bureau du Rapporteur spécial pour la liberté d’expression qui lui est rattaché expriment leur préoccupation face à la récente aggravation des actes de violence survenus dans le cadre de la crise politique qui sévit en Haïti depuis mi-2018 et qui se manifeste par des pressions en faveur de l’interruption du mandat du président haïtien et l’usage disproportionné de la force par une partie de la police pour réprimer les manifestations. La CIDH prie instamment l’État de prendre les mesures nécessaires pour garantir le droit à la liberté de réunion pacifique et d’adopter des mesures urgentes pour protéger la vie et l’intégrité des habitants du pays et permettre aux journalistes d’effectuer leur travail. De même, la Commission exhorte toutes les forces politiques haïtiennes à renouer avec les voies pacifiques de concertation politique et à préserver les institutions démocratiques du pays.
Selon les informations reçues par la CIDH, les protestations sociales découlant de facteurs économiques et politiques se sont aggravées ces dernières semaines et seraient centrées sur le refus du mandat du président Jovenel Moïse. La pénurie de carburant et l’insuffisance des ressources énergétiques et alimentaires associées à des épisodes de violence provoqués par des groupes organisés se seraient ajoutées à la crise déclenchée suite à la publication d’un rapport sur la gestion des fonds PetroCaribe en janvier 2019 sur les actes de corruption des autorités gouvernementales et des autres acteurs. Lors de sa 173e session, la Commission a reçu en particulier des informations de la part de représentants d’organisations de la société civile sur la paralysie des services publics de base tels que la santé et l’éducation, qui touche particulièrement les enfants, les femmes et les personnes âgées. Dans ce contexte, la CIDH adhère à la préoccupation des Nations Unies exprimée le 2 octobre dernier concernant la possible pénurie d’eau potable dans des lieux critiques comme les orphelinats et les difficultés d’accès aux hôpitaux et services d’urgence.
D’après les informations communiquées par la presse locale, il y aurait eu des incidents violents, ayant atteint leur paroxysme avec les manifestations de septembre dernier au cours desquelles 17 personnes au moins ont trouvé la mort, produits dans le contexte de profonde insatisfaction politique et sociale en Haïti. La CIDH souligne en particulier l’incident survenu le lundi 23 septembre qui s’est soldé par un bilan de deux blessés, un journaliste et un garde de sécurité, après qu’un sénateur haïtien a ouvert le feu à proximité du Parlement haïtien.
Dans le même esprit, comme l’a noté le Bureau du Rapporteur spécial dans son communiqué R151/19 suite à l’assassinat du journaliste Pétion Rospide, les pics de violence survenus pendant les manifestations et protestations que connaît actuellement le pays incluent des attaques contre les journalistes qui couvrent ces événements, dont les manifestations publiques. Dans son émission de radio, le journaliste Pétion Rospide dénonçait les agressions commises par des manifestants violents contre les médias, en particulier les radios, le média le plus populaire en Haïti. Selon des informations rendues publiques, un journaliste a été blessé le lundi 30 septembre à Port-au-Prince après que la police aurait tiré à balles réelles sur les manifestants pour les disperser. De plus, le reporter Edmond Joseph Agenor, de l’émission Radio Sans Fin (RSF), aurait été poursuivi par une foule de manifestants qui lui ont jeté des pierres alors qu’il était transféré à l’hôpital sur une moto.
La Commission exprime son profond rejet des actes de violence et, dans ce contexte, prie instamment l’État haïtien d’adopter toutes les mesures nécessaires pour garantir la vie, l’intégrité personnelle et la sécurité des habitants du pays. De même, il est impératif que l’État mette à exécution les actions nécessaires pour assurer le déroulement des protestations sociales dans un climat pacifique. La CIDH et le Bureau du Rapporteur spécial qui lui est rattaché rappellent que la dispersion d’une manifestation doit se justifier par le devoir de protection des personnes et que l’État est tenu de recourir à des mesures plus sûres et moins préjudiciables pour les manifestants. Le recours à la force lors des manifestations publiques doit rester exceptionnel, et ce dans des circonstances strictement nécessaires, conformément aux principes internationalement reconnus. Les autorités ont le devoir de mener une enquête rapide et approfondie sur le comportement de la police pendant ces manifestations et d’établir les sanctions correspondantes.
Dans ce contexte, la CIDH a été informée que des discours haineux incitant à la violence circulaient sur Internet et étaient diffusés par le biais d’émissions de radio. Ces discours auraient pour effet d’exacerber la polarisation politique et les attaques contre la presse en général. À cet égard, la CIDH réaffirme que, devant les leçons de l’Histoire concernant des exemples de crimes graves commis en raison de l’exacerbation de la haine à l’encontre de groupes précis, toute société démocratique est tenue d’adopter les mesures nécessaires pour prévenir et sanctionner de tels faits, en particulier dans un contexte régional où les discours discriminatoires gagnent du terrain.
« Le contexte défavorable qui prévaut actuellement en Haïti met en évidence trois préoccupations principales : la nécessité de renouer le dialogue politique, la garantie de protestations libres et pacifiques et la pleine reprise des services de base interrompus à cause de l’escalade de violence », a souligné la Commissaire FlaviaPiovesan, Rapporteuse de la CIDH pour Haïti. « Dans ce contexte, la Commission poursuivra et intensifiera ses activités de suivi de la situation dans le pays », a-t-elle ajouté.
De même, Edison Lanza, Rapporteur spécial pour la liberté d’expression a rappelé : « L’État a le devoir de garantir que les journalistes et les communicants qui remplissent leur mission d’information dans le cadre d’une manifestation publique ne font pas l’objet d’une détention, menace, agression ou limitation de quelque forme que ce soit dans leurs droits d’exercer leur profession ».
La CIDH est un organe principal et autonome de l’Organisation des États Américains (OEA), dont le mandat émane de la Charte de l’OEA et la Convention américaine relative aux droits de l'Homme. La Commission interaméricaine a pour fonction de promouvoir le respect et la défense des droits de la personne dans le continent américain et servir d’organe consultatif de l’Organisation en la matière. La CIDH se compose de sept membres indépendants élus à titre personnel par l’Assemblée générale de l’OEA et ne représentant pas leur pays d’origine ou de résidence.
La Commission est l’un des organes principaux de l’Organisation des États américains (OEA) et agit de manière indépendante. Son mandat est fondé sur la Charte de l’OEA et la Convention américaine relative aux droits de l’homme. La Commission a le mandat de promouvoir le respect des droits humains dans les Amériques et agit comme organe consultatif auprès de l’OEA en la matière. La Commission est composée de sept membres indépendants élus par l’Assemblée générale de l’OEA, à titre personnel et non en représentation de leur pays d’origine ou de résidence.
No. 258/19