Washington, D.C.- La Commission interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) réitère sa préoccupation face à la situation actuelle de violence, de crise politique et institutionnelle prolongée en Haïti. Dans ce contexte, la CIDH réaffirme l’importance de mener un dialogue politique, de renforcer les institutions démocratiques et de garantir l’accès de la population aux services de base.
Un an après les actes de violences connus sous le nom du massacre de La Saline-dont les enquêtes sont toujours pendantes, la CIDH constate que des actes de violence continuent de se produire également dans les manifestations, ainsi qu’un manque accru de la population à l’accès aux services publics essentiels. Cette situation a été évoquée par la Commission dans son communiqué de presse 258/2019, publié le 11 octobre passé.
Selon des informations reçues par la CIDH, la persistance et l’intensification des manifestations dans le pays depuis la mi-septembre 2019 et la détérioration de la situation sécuritaire continuent d’avoir des impacts négatifs sur la vie sociale, économique et politique du pays. A cet égard, selon les informations publiques, les conditions de sécurité à Port-au-Prince et dans d’autres villes du pays sont gravement affectées par les actes de violence des bandits armés, l’érection de barrages dans les routes ainsi que des évasions de prison. La Commission note aussi la pénurie d’eau potable dans les zones critiques et les difficultés d’accès aux hôpitaux et aux services d’urgence.
Dans le même ordre d’idées, la Commission signale que, selon des informations reçues de certaines organisations de défense des droits de l’homme, le recours à la force par des agents de sécurité publique serait généralisé en Haïti. Ces actes comprendraient, entre autres, par l’utilisation aveugle d’armes non létales, le lancement de gaz lacrymogènes au milieu des manifestants pacifiques, les tirs sur des manifestants avec des munitions non létales à courte portée et des coups assénés à des manifestants au sol ou déjà maîtrisés. De même, la Commission manifeste sa profonde préoccupation devant les faits décrits dans le communiqué de presse du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les Droits de l’homme du 1 novembre 2019 indiquant qu’au moins 42 personnes ont perdu la vie et 86 blessés suites à ces actes de violences dans les manifestations qui ont eu lieu dans le pays au milieu du mois de septembre.
De la même manière, la CIDH prend note de la fin au 16 octobre 2019, de la Mission d’Appui à la Justice des Nations Unies en Haïti (MINUJUSTH) qui avait succédée à la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), crée en 2004. A la place de la MINUJUSTH, l’ONU vient de mettre en œuvre, le Bureau intégré des Nations Unies en Haïti (BINUH), une mission politique spéciale visant à soutenir la transition du maintien de la paix et au renforcement des institutions démocratiques, au dialogue politique et aux objectifs de développement.
Dans ce contexte, la Commission rappelle qu’il est du devoir des États de prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la vie, l’intégrité personnelle et la sécurité de leurs habitants, ainsi que de prendre les mesures nécessaires pour assurer un environnement pacifique pour la conduite des manifestations. A cet égard, les États devraient prévenir les abus commis par leurs forces de sécurité lors de manifestations et d’enquêter à leur sujet.
D’autre part, la CIDH prend note du premier anniversaire du massacre de La Saline qui a eu lieu le 13 et 17 novembre 2018 dans la communauté avoisinante de Port-au-Prince. Selon ce qui a été rapportée à la CIDH lors de la 173e période de session de la Commission, dans ce massacre, au moins 71 personnes ont perdu la vie, et un nombre inconnu de personés ont été victimes de violations, telles que des vols et des incendies de leurs maisons. La CIDH est également préoccupé par l’absence d’enquête sur ces évènements. Dans ce contexte, la Commission exprime sa solidarité avec les familles des victimes et rappelle l’obligation de l’État haïtien d’épuiser avec diligence et exhaustivité les pistes d’enquêtes relatives au massacre de La Saline, y compris celles qui lient la participation éventuelle d’agents de l’État et des forces de sécurité.
En ce qui concerne le massacre de La Saline, la CIDH a été informée des mesures prises dans les mois qui ont suivi le crime. Selon les informations communiquées par le gouvernement, une fois que les autorités ont été informées de ces événements, la Direction Centrale de la Police Judiciaire (DCPJ) s'est rendue sur les lieux du crime pour recueillir des preuves. Après l’enquête initiale, le parquet a engagé une procédure devant le tribunal de première instance de Port-au-Prince. En outre, Haïti a signalé qu'en avril 2019, les habitants de la communauté avaient déposé 74 plaintes concernant les événements du massacre. Dans ce contexte, 80 victimes ont été entendues et cinq personnes ont été arrêtées. Le 23 avril 2019, des poursuites ont été engagées contre 98 personnes, dont deux hauts responsables de l'État.
«La Commission exhorte les diverses forces politiques et sociales à investir dans la reprise du dialogue politique, en valorisant les institutions démocratiques et le respect de la légalité comme une solution à ce moment difficile et crucial que traverse l’État d’Haïti» a déclare la Commissaire Flávia Piovesan, rapporteur de la CIDH pour Haïti. «Il est du devoir de l’État d’enquêter sur les violations graves des droits de l’homme, d’y réagir, et de garantir l’intégrité et la dignité de sa population» a-t-elle ajouté.
La CIDH est un organe principal et autonome de l'Organisation des États américains (OEA), dont le mandat découle de la Charte de l'OEA et de la Convention américaine relative aux droits de l'homme. La Commission interaméricaine a pour mandat de promouvoir le respect et la protection des droits de l'homme dans la région et agit comme organe consultatif auprès de l'OEA en la matière. La Commission est composée de sept membres indépendants élus par l'Assemblée générale de l'OEA à titre personnel et qui ne représentent ni leur pays d'origine, ni leur pays de résidence.
No. 305/19